Règles et comportements

Voilà un article qui me tient à cœur et qui va être assurément compliqué à écrire.

Un jeu de rôle est composé de multiples règles que les joueurs, PJ et MJ, doivent suivre s’ils veulent jouer à ce jeu. Rien de nouveau la dedans. Tout jeu est un ensemble de règles à suivre, servant à cadrer la pratique, lui donnant son objectif. Mais les règles donnent aussi le comportement des joueurs (MJ compris). C’est visible sur les jeux de société. Certains jeux poussent les joueurs à se faire des coups bas, d’autre à coopérer, d’autres à négocier. Or, ces jeux n’ont pas trente pages d’univers ou de note d’intention. Il n’y a que les règles et cela suffit, les joueurs ont le comportement attendu par les créateurs.

Par exemple, The Island, un jeu où on doit couler les bateaux des autres joueurs, survivant d’une île qui s’effondre. Rapidement, dès la lecture des règles, tout le monde comprend qu’il a intérêt à couler les autres. Et on ne se prive pas ! Les joueurs ont le comportement espéré.

En JDR, c’est pareil. Pathfinder ou Anima propose beaucoup d’optimisation de personnage, de mini maxage et autre grosbillisme. C’est voulu, ces jeux encouragent la démarche. Du coup, si un joueur optimise son perso, sur ces jeux, il a raison. Il fait ce que le jeu attend de lui.

Du coup, quand je crée mon jeu, je dois me poser la question : quel comportement j’attends de mes joueurs ? Et quelles règles dois-je mettre en place pour encourager ce comportement ? Finalement, tous le cœur du travail de créateur de jeu ne se trouverait ‘il pas là ? Cependant, choisir les règles adéquates, c’est compliqué. Et ça se joue sur des détails, attention ! On peut faire les choses de deux façons : soit on met une règle en espérant un comportement précis, soit on constate un comportement donné suite à une règle. En pratique, on fait un peu des deux.

Et c’est là que ça devient compliqué. En JDR, avec la myriade de règles qui s’appliquent en même temps, il devient difficile de déterminer quelle règle a influencé le comportement du joueur. C’est à ce moment que les retours, les playtests et l’empathie permettent de comprendre les actions et réactions de chacun suite à l’application des règles (mais je parlerais des playtests une autre fois).

Par exemple, un jeu avec des ressources qui s’épuisent, ressources gérées par les PJ, va créer un sentiment de stress. Les PJ vont alors d’eux même placer la ressource manquante comme un élément central du scénario. Ce peut être la gestion de la nourriture dans Oltréé.

Autre exemple, si on veut mettre que les PJ se soutiennent les uns les autres, comme dans un groupe unis. Il faut une mécanique qui encourage ce comportement. Dungeon world permet cela en soutenant (ou en gênant) les autres membres du groupe. Le D sur la table offre aussi une mécanique de cet ordre. Le ressentie des joueurs en ait affecté, les PJ se rapprochent. Mais sans ce genre de mécanique bine mise en avant (i.e. visible sur la feuille perso), il est illusoire d’espérer que les joueurs fassent cela d’eux même.

Je vais prendre un exemple, un changement de règle tout simple qui a des conséquences dramatiques en termes de comportements. Le système de base de Tylestel est simple. Les joueurs lancent 2D6, les additionnent, ajoute le score d’attribut correspondant. Si le total dépasse une difficulté fixée par le MJ, l’action est réussie. C’est très simple, une recette appliquée sur de nombreux jeux. Mais vient une question : est ce que les joueurs connaissent le seuil à atteindre avant le jet de 2D6, avant le test ? Statistiquement cela ne change rien de le savoir avant ou après. Dans les faits, les changements sont conséquents sur les ressenti et le comportement des joueurs.

1/Si le joueur ne connait pas le seuil, il va prendre les dés, les lancer hâtivement, faire la somme et regarder le MJ plein d’espoir. Ce dernier lui dira alors « Réussi » ou « Arf raté ». Puis on passera à la suite.

2/Si le joueur connaît le seuil, il va prendre les dés et va se faire confirmer le seuil par le MJ. Il va sans doute faire un petit calcul rapide pour connaître ses chances de réussite, puis il va lancer les dés. Il saura alors tout de suite, en faisant le calcul, s’il a réussi.

Une des différences se situe dans le moment libératoire. Dans le premier cas, il survient quand le MJ parle. Dans le deuxième il intervient au moment du lancer de dés. Une autre différence réside dans la façon dont le MJ sera influencé. Dans le cas 1/ le joueur va avoir tendance à essayer d’influencer le MJ en lui montrant son superbe jet de dés, ou en commentant son action. De fait, quand, en tant que MJ , quand on voit un beau jet, même si la difficulté n’est pas atteinte, on a tendance à dire que c’est réussi. On est des êtres humains, on est influençable. Le cas 2/ est plus tranchant. Le joueur constate son échec au moment du lancer de dés. Il pourrait influencer le MJ avant le jet pour essayer de baisser le seuil. En pratique, il ne le fera que si la difficulté lui parait en désaccord avec l’image mental qu’il se fait de la scène. Le joueur ne questionnera pas la réussite ou l’échec de l’action, il questionnera alors al difficulté, qui ne correspond pas à ce qu’il imagine de la scène. Ainsi le cas 2/ permet à la table d’avoir une image commune de la scène plus claire.

Autre différence majeur : dans le premier cas c’est le MJ qui décide si l’action est réussie. Dans le deuxième cas, ce sont les dés. En effet, dans le cas 1/, c’est au moment où le MJ parle que la table connait le verdict. Donc, du moment que le MJ n’a pas parlé, on ne sait pas le résultat. Jusqu’au dernier moment, le MJ peut changer d’avis. Le système permet, encourage, ce comportement (toujours ce lien règle : comportement).

J’entends déjà le lecteur se révolter : « ha non, c’est de la triche ! C’est interdit ! » En effet, c’est de la triche. Et c’est un comportement toléré, voire, dans des cas particuliers, encouragé, dans de nombreux jeux qui suivent le cas 1/, comme Numenera, ou XVII.

Par analogie, prenons une salle de classe. C’est l’élection du délégué de classe. Tous les élèves votent dans une urne. Puis à la fin, un élève désigné va voir l’urne et dit qui a gagné. Les autres ne sont pas autorisés à voir l’urne ou à compter. Dès lors se pose des questions : le gagnant l’a t’il mérité ? Est ce vrai ? Et si celui qui a vu l’urne ment et ne fait que choisir le vainqueur ? Et bien le cas 1/ c’est la même chose. Peut être que statistiques et calculs ont été respecté, peut être pas. Les joueurs ne le seront pas. Mais ils pourront avoir un doute. Et ce doute va ronger la table, pouvant éroder la confiance envers le MJ.

Alors le cas 1/ est horrible et encourage la triche ? C’est un peu plus compliqué. Oui, il encourage la triche du MJ. En fait, le déroulement de l’histoire est entièrement entre les mains du MJ. Il peut décider complètement et tout seul de la direction prise par l’histoire. Il peut utiliser ce pouvoir pour bloquer le scénario sur des rails, (mais en pratique, d’après mon expérience, le MJ utilisera ce pouvoir avec parcimonie, il peut surtout l’utiliser pour sauver un PJ d’une mort non méritée). Cette influence sur l’histoire est la différence majeure entre 1/ et 2/. Les jeux fonctionnant avec 2/ permettent aux joueurs d’influencer plus l’histoire. Un jeu avec système en pourcentage par exemple, le joueur sait qu’il n’a que 30% de réussir son action avant de faire le jet. Quand il réussi, toute la table est témoin que le boss s’est pris une châtaigne par le petit nerd malingre. Même chose, si le seuil est trop élevé et l’action échouée, tout le monde le voit. Le PJ n’a pas de filet de sécurité, il n’y a pas de MJ pour cacher le jet. Les PJ ont bien plus de chance de mourir. Mais quand ils réussissent, ils ont plus l’impression que c’est leur victoire, leur accomplissement. Cette règle a affecté leur comportement.

 

Tylestel se trouve dans le cas 2/ Les joueurs savent le seuil avant de faire le jet de dés. Ce choix est adapté à la philosophie du jeu qui pousse les joueurs à prendre le scénario en main, à trouver eux mêmes les solutions aux challenges qu’il rencontre. Par contre, les PJ peuvent échouer et mourir. De plus, les joueurs pourraient plus aisément sortir du scénario. Heureusement, il existe d’autres outils pour s’assurer que tous autour de la table vont dans la même direction. Mais j’en parlerai une autre fois.

 

En tout cas, je conseil à tout créateur de jeu de s’interroger sur les comportements encourager par chacune des règles de son jeu. Même les plus petites et insignifiantes peuvent avoir un changement important. Il ne suffit pas de s’arrêter aux statistiques (qui doivent être aussi étudié), il faut interroger le ressentie des joueurs.

 

Voici une vidéo (en anglais) qui va dans le même sens que cet article. Elle concerne les jeux vidéo, mais c’est la même idée.