Dans cet article, je vais essayer d’expliquer comment j’ai playtesté Tylestel, et comment je playtest mes jeux en général.
Déjà, pourquoi playtester ? Pour en retirer des informations, sur un point de règles, un scénario, une ambiance, une méthode de présentation. Et qui nous donne ces informations ? Les joueurs (de notre table, d’autres table, d’autres MJ).
Les joueurs vont nous donner des informations, par leurs retours directs, mais aussi indirectes. Leur comportement à la table, les questions qu’ils posent, les choix qu’ils font, leur attention ou inattention. Tout ceci sont des indices qu’il faudra enregistrés et comprendre.
Je procède mes tests en plusieurs étapes, dans différentes conditions.
Tout d’abord, on a les prétests. C’est tester une mécanique seule, hors du reste du jeu. Typiquement, cela revient à tester la création de personnage (qui doit être fun en soit), ou les combats (qui doivent être intéressant, même en dehors d’un scénario). Ces tests peuvent être fait seul par le créateur, ou avec l’aide d’un autre joueur (de confiance) seulement. On a ici une boucle de retours rapides qui montrera rapidement si des points du jeu ne tiennent pas la route du tout. On détecte le plus évident.
Puis viennent les Alpha test. Il s’agit des premiers tests de son jeu complet, sur un scénario d’une séance, avec personnage prétirés. Ici, on test déjà plus de points : comment présenter son univers ? comment présenter les points de règles ? comment mettre les joueurs dans l’ambiance ? A cette étape, le MJ est le créateur du jeu, et les joueurs des personnes proches, mais qui osent faire des retours, et dire leur ressenti.
J’en profite pour aller vers un point important : le ressenti des joueurs. Dans mes jeux, le ressenti est plus important que les probabilités. Je m’explique. De par ma formation scientifique, je calculs toujours les probabilités de succès et d’échec de mes différents systèmes. Cependant, j’ai découvert que deux systèmes avec des chances de succès égales ne sont pas accueillis de la même façon par les joueurs. Dans certains, ils ont l’impression de subir l’action, de subir le hasard, alors que dans d’autres ils ont l’impression d’être plus aux commandes, de s’éclater plus. C’est du ressenti et il faut le prendre en compte, le mettre au premier plan des retours qu’on obtient.
Un exemple pour le ressenti : pour le développement du D sur la table. J’avais mis au point un premier système de combat. Il tournait, dans le sens qu’il permettait de déterminer un gagnant, que les choix étaient tactiques. On lançait un certain nombre de dés en début de combat et on choisissait comment les repartir, en dépensant des dés à chaque attaque, chaque défense. Mais le ressenti des joueurs a été mauvais. Quand les derniers dés arrivaient, les joueurs savaient qu’ils n’avaient plus le choix, que la réussite ou l’échec était déjà fixé par leur choix précédent. Du coup : frustration. Au final, je suis parti sur un système bien différent qui a été un succès, car il collait plus au côté narratif du jeu.
Pendant les alpha tests, on test énormément de points du jeu d’un coup. Afin de récolter correctement les informations, j’ai pris l’habitude d’enregistrer les parties, avec le magnéto de mon téléphone. Bien sûr, ceci ne peut se faire qu’avec l’assentiment de tous les joueurs. Voilà pourquoi je limite les alpha tests aux personnes de confiance. Une fois la partie terminer, je réécoute l’enregistrement. Et là beaucoup de choses s’éclairent. Le comportement et les questions d’un joueur en fin de partie sont des fois liées aux réponses que j’ai pu donner en débuts de partie sur un point de règles. Les choses ont été mal interprétées ou mal présentées ce qui provoque des points de blocage. Et il est difficile de détecter cela sans enregistrement.
La compréhension du jeu est aussi guidée par le matériel de jeu (la feuille de personnages en jeu rôle, mais pas seulement). La structure de la feuille de perso, les informations qu’elle présente et comment elles sont agencées guident d’une main invisible le comportement du joueur. On se rapproche ici du concept d’Affordance utilisé en jeux vidéo.
Normalement, en fin des alpha tests, on connait les points de règles qui fonctionnent dans les grandes lignes, si le thème du jeu plait, le fun est présent. C’est souvent assez gratifiant. Pourtant la route est encore longue.
On passe ensuite au Beta Test. C’est à dire le jeu en campagne. Le MJ est toujours le créateur, avec un groupe de joueurs proches. Le jeu en campagne est très différent du jeu sur un scénario seul. On test ici le système d’évolution, la viabilité des différents types de personnages du jeu, l’attachement des joueurs à leur personnage, … Tylestel a trois systèmes d’évolution (des points d’XP, un système de morale avec les Dieux, un système de renommée). Il est possible de les tester séparément, en pré test, mais il est important de les tester ensemble, en partie, pour voir le ressenti des joueurs, s’ils sentent leur monter en puissance, si l’évolution leur semble clair. Le jeu en campagne permet aussi de tester l’univers, sa crédibilité, sa densité, et la place des joueurs en son sein.
A ce stade, en fin de partie, je fais souvent des points avec les joueurs pour savoir ce qu’ils ont appréciés, et ce qu’ils aimeraient pour la suite de l’aventure. Si un joueur décroche, il ne faut pas l’exclure mais essayer de comprendre pourquoi. A ce stade, il arrive qu’il y est un décalage entre le personnage que le joueur a préparé et les thèmes des séances ; un décalage qui peut frustrer le joueur. Ses attentes sont en inadéquations avec les parties. Vient ensuite la question : est-ce que cela vient du jeu lui-même, de ses scénarios, de ses mécaniques, ou est ce personnel ? Et il est difficile de trancher.
Une fois le jeu tester en campagne, sur une dizaine de séances par exemple, se pose la question de diversifier le public. Pour l’instant, le jeu n’a été testé qu’avec des proches du créateur. Il faut le confronter à d’autres personnes. Pour cela, le plus simple est d’aller en convention, ou en club.
Cette étape peut être considérer comme simple. Elle ne l’est pas. Si votre jeu à un univers touffue, complexe et difficile à aborder, il vous faudra trouver comment la présenter rapidement à des joueurs de passage en vingt minutes. Car les inconnues que vous croiserez ne sont pas comme vos proches. Ils ne cacheront pas leurs ennuis ou leurs déplaisirs si cela arrivent. Ils ont des références différentes que vos proches, des centres d’intérêt ou des habitudes de jeu différentes. Sans le vouloir, ils vont ainsi rajouter une pression supplémentaire sur la clarté de vos règles et sur l’adhésion à votre univers.
Au fur et à mesure que le nombre de joueurs grandit, vous rencontrerez des personnes variées. Et le jeu ne pourra pas plaire à tous. Les choix qui ont été fait au niveau des thèmes, des mécaniques, va attirer et révulser certains joueurs. On ne peut plaire à tout le monde. Et je pense qu’on ne doit pas essayer de le faire, car on risque alors d’y perdre l’âme de son jeu (Cependant ceci ne doit pas être utilisé comme excuse pour refuser de modifier un point de règle).
Enfin, vient un autre test, celui avec un MJ différent que le créateur. On discerne deux cas. Il y a tout d’abord un MJ qui a été joueurs à la table du créateur. Il a découvert et intégrés les règles et fera jouer le jeu de son côté. C’est un test intéressant pour voir la popularité du jeu. Si le jeu est trop personnel, il est possible que même les proches ne s’en sentent pas capable de masteriser le jeu. Si au contraire les proches se proposent d’eux-mêmes pour faire MJ, c’est de bonne augure.
Puis il y a le MJ qui n’a pas joué au jeu avant. Et là, on atteint encore un plus grand niveau de difficulté. Le nouveau MJ n’a que le livre de jeu comme référence ; il n’a pas le créateur sous la main pour l’interroger. Cette étape permet de travailler le texte, la feuille de personnage et les autres éléments de jeu pour le rendre aussi user friendly que possible. Car il ne faut pas se faire d’illusion. Le nouveau MJ ne connaît pas tous mécaniques par coeur, il n’ira pas chercher en pleine partie un point de règles obscurs dans le livre. Il ne connait pas non plus l’univers sur le bout des doigts. Pendant sa partie il fera au mieux, selon ses souvenirs de ses lectures. Et le matériel de jeu doit être assez robuste pour tourner malgré cela, pour que chaque table obtienne la même expérience de jeu.
Là encore, il est important de récolter de bonnes informations à partir des playtesteurs. Mais comme le créateur n’est pas avec eux, il faut procéder différemment. J’utilise des questionnaires que j’envoie aux MJ et aux PJs (avec des questions différentes). Les questions portent sur les points de règles qui ont posées problème, sur le ressenti de chacun, sur le type de parti qui ont été jouées, sur la partie de l’univers qui a été explorée, les règles qui ont été changées et pourquoi … Sur certains points révélés par les questionnaire, j’interview ensuite directement MJ et joueurs, mais séparément, pour que chacun puisse exprimer avec ses mots la situation.
Voilà pour cet article. Il y aurait sans doute encore des choses à dire, mais c’est déjà bien assez long ^^ .
Et sinon, le financement de Tylestel a atteint les 200%. et ca fait plaisir 🙂
https://www.gameontabletop.com/cf323/tylestel.html